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  les portraits du RCB : "Doc"

samedi 8 décembre 2007, par erig wolfhound

"Les bons ont de bons résultats, les mauvais ont de bonnes excuses." C’est le genre de truc qui te cingle à la gueule quand Alex, dit "le doc", est ton capitaine.

Dans ton embut, pendant que le buteur adverse est en train de t’en planter un parcequ’on s’est replacés trop tard, ou qu’on n’a pas mis "la gueule dedans", Alex plante ses yeux bleus comme des glaçons dans les tiens et il commence à gueuler. Il te demande si chacun sait bien pourquoi il est là. Quand sous sa courte toison grise, Alex commence à donner ses instructions, il y a pourtant peu de chances pour qu’on ait envie, en temps normal, de le contredire. Mais quand il gueule... Alors...

C’est un avant, un pilar. Un vrai. Attention pas de ces boeufs stupides qu’une légende hargneuse a construit sur le dos des piliers. On les a dit épais et juste bons à tirer la charrue. Mais un bon pilier, c’est bien plus que ca, et celui qui n’a jamais mis sa tête dans la première ligne adverse ne peut rien en savoir. Il faut être capable de faire reculer mentalement le pilier d’en face avant même le premier contact. Il faut savoir caler ses fesses sur le deuxième ligne, le dos bien droit. Entrer puissament, en montant, et prendre le dessus tout de suite. Lui tordre la tête avec la force de ton cou, et, des épaules, lui décoller si possible les pieds du sol. Ca ne demande pas que de la force pure. Ca demande d’habiter ton corps complètement, de lire celui de l’adversaire. D’aller chercher chez lui l’endroit douloureux, le point précis à solliciter, pour que tout son corps cède, comme font les grands écuyers avec les chevaux rétifs. Il y a de bons piliers qui ne sont que très forts. Pour faire un grand pilier, il faut plus que ca. Il faut un cerveau, et un peu de vice.

Alex, il a tout ca. Et du mordant, de la tonicité, de l’envie. De la hargne à vrai dire. Une haine aussi palpable de l’échec, de la médiocrité, c’est assez rare chez un homme. Je ne l’ai rencontré que peu de fois. Donne-lui un ballon de rugby, et il ne connait qu’une règle : avancer. En match ou à l’entrainement, c’est pareil. Il n’y a pas à discuter, il n’y a pas à trainer, il y a à travailler. Ce qui doit être fait, doit être bien fait.

C’est rassurant de savoir que cette race d’homme existe encore.

Nous étions liés sans le savoir, par une fraternité d’armes. Nous avions eu le même maître. Peut être même, nous étions-nous croisés autour de nos vingt ans, pour avoir débuté le rugby avec le même homme. Et je dois à Alex une des grandes émotions de ma vie. D’avoir revu, sans m’y attendre, celui qui nous a, alors que nous n’étions que des enfants, offert ce jeu pour faire de nous des hommes à notre tour.

Combien d’années au total, Alex a-t-il joué au rugby ? Je ne sais pas, mais plus que la plupart d’entre nous. Tout le temps de ses études de médecine, déjà. Et après jusqu’à aujourd’hui, sans désemparer, toujours au paquet, à la pile, à attendrir la viande du gros d’en face, à l’impact avec ses épaules dures et denses. Il fait mal à l’impact, Alex. Et c’est bizarre de voir autant de potentiel destructeur chez un type dont la vocation et le métier sont de te réparer.

C’est un type contrasté. Elégant et racé, il roule dans une petite voiture merdique. Tu me diras que ce n’est pas là, une vraie contradiction, et qu’on chercherait en vain la véritable élégance chez les dentistes de province en Jaguar, et les piliers de rotary en Range Rover. Convive discret et distingué, il est tout de même, jusqu’à aujourd’hui, le seul que je connaisse qui puisse chanter dans la même soirée, cinq versions différentes de "Mon Père Etait Vétérinaire" (et il soufflait dans le cul des chevaux...). On l’imaginerait dans son "pin striped jacket" en route pour un bridge chez un confrère chirurgien, mais il revient d’une surf session, et il passe les crampons. Il est drôle. Mais d’un humour à froid dont tu sens qu’il peut devenir tranchant comme un scalpel. Tu sais que ce type fréquente la vie et la mort. Et que s’il est du coté de la vie, cette fréquentation quotidienne de ce qui fait que l’une l’emporte sur l’autre lui a retiré toute complaisance. Avec lui-même et avec les autres.

Quand je suis arrivé au club, l’année dernière, il me faisait peur.

Aujourd’hui, c’est pire, il m’impressionne.